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Dana Bell

Le portrait au manteau vert

En 1940, Dana Bell n’a qu’un an lorsque ses parents quittent la Pologne. Au risque de leur vie, ils fuient vers la Russie, l’Ouzbékistan puis l’Autriche. Huit ans plus tard, la famille s’installe à Montréal, grâce à un programme d’immigration destiné aux artisans fourreurs. À leur arrivée, le Service d'aide aux immigrants juifs du Canada leur procure l’équipement nécessaire pour affronter leur premier hiver. Dana s’éprend alors d’un joli manteau vert à la doublure de motifs léopards. Sur la photographie ci-dessous, prise devant l’appartement loué sur le boulevard St-Laurent, la petite fille l’arbore avec fierté.

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Quand on est arrivés au Canada, on n’avait pas de vêtements appropriés — c’était en novembre,
et il faisait froid. Ma mère disait : « Ils nous ont transférés de Sibérie en Sibérie. » En effet, c’est
le même climat : je suis en contact avec une fille qui vit en Sibérie, où était notre camp de
travail. On n’avait pas de vêtements, et le JIAS [Services d’assistance aux immigrants juifs] en
offrait aux immigrants. Alors, on y est allés et j’ai vu ce manteau. Il était vert avec un capuchon
dont la doublure était en léopard. J’adore le léopard encore aujourd’hui ! J’ai eu des vêtements
en léopard, ainsi qu’une écharpe, des gants, des bottes. Quand ils m’ont interviewée pour le
JIAS, j’ai dit : « En entrant, j’étais une immigrante, et en ressortant, j’étais canadienne. »
Qui a pris la photo?
Je ne me rappelle pas, sans doute mon père. Je ne vois pas qui ça aurait pu être d’autre. Peut-
être un oncle…
Savez-vous où elle a été prise?
Oui, sur le boulevard Saint-Laurent, où on vivait, probablement en décembre 1948. Il fallait un
certain temps avant qu’ils arrangent les choses. Le JIAS nous faisait parvenir des colis pour les
fêtes, comme pour la Pessa’h, où on recevait de la matsa. C’était tellement excitant de recevoir
une boîte remplie de choses ! Ils nous en envoyaient pour la Pessa’h et pour Roch Hachana,
comme ils le font encore aujourd’hui. On n’avait pas d’argent. Le gouvernement nous avait
donné 10 dollars à la descente du bateau, mais pas de logement, rien. C’est le JIAS ou un autre
organisme juif qui nous a trouvé une chambre avec des gens. C’était très dur au début. Mes
parents trouvaient ça très difficile. Pour moi, ce qui était difficile, c’était de ne pas pouvoir aller
à l’école. Mes parents travaillaient, et moi, je devais m’occuper de ma petite sœur. Quand elle
avait environ un an, non, plutôt deux ans, j’ai commencé à fréquenter la Volksschule, l’école
juive populaire. Là-bas, les enfants étaient méchants avec moi, ils se moquaient parce que je
portais un ruban blanc dans les cheveux. Alors, ma mère m’a dit : « Tu as assez souffert, tu n’as
pas besoin de fréquenter une école où tu seras malheureuse. » Et elle m’a inscrite à l’école juive
Peretz. Le directeur était un immigrant et il a tout de suite saisi la situation. Ma mère lui a
expliqué : « On ne sait pas quoi faire. Je veux qu’elle aille à l’école, mais on a une petite fille de
deux ans. » Il a répondu : « Qu’elle l’emmène à l’école! » J’étais en classe, et ma sœur était
assise à l’arrière avec des crayons de couleur, des biscuits et du lait. C’était une chouette école.
Le directeur m’avait fait faire le tour des classes en disant : « Si j’apprends que quelqu’un a
malmené cette enfant, il aura affaire à moi. » L’atmosphère de l’école Peretz était tellement
différente de celle de la Volksschule. C’était incroyable! La plupart des enseignants étaient aussi
des immigrés. Pas des immigrés de l’Holocauste, mais des gens qui venaient de Pologne ou
d’ailleurs. Ils avaient de l’empathie pour nous, car ils avaient vécu la même chose.

Davy Trop
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